Faut-il opposer la ville et la nature? Protéger la nature est-ce nécessairement dire non à l'urbanisation? Les environnementaliste ont longtemps pensé que
pour protéger la nature il fallait s'opposer à l'urbanisation.
Les écoquartier s'efforcent de dépasser cette contradiction. C'est ce qu'explique fort bien Taoufik Souami dans son livre "Ecoquartier, secrets de fabrication":
- Plus encore qu'une accélération les écoquartiers apparaissent plutôt comme un acte de rupture avec des approches antécédentes, y compris avec des politiques
environnementales ou de développement durable antérieures. Cette rupture s'avère parfois nécessaire car les politiques environnementales mises en place durant les années 1970 et 1980 visaient
principalement la protection de la nature et des espaces naturels. Ces politiques étaient sous-tendues par l'idée que la ville et l'urbanisation étaient prédatrices pour les ressources naturelles.
Autrement dit, elles étaient fondées sur une vision opposant la ville et l'environnement. Préserver le second signifiait limiter le premier. Les écoquartiers introduisent l'idée d'une urbanisation,
d'ensembles urbains respectueux de l'environnement. Les réaliser suppose donc de dépasser cette vision que drainent les politiques environnementales passées pour entamer des stratégies
convergentes. Par exemple, il a fallu dépasser les politiques du Sénat de Berlin qui portaient prioritairement sur les espaces naturels. A Hanovre, le service de l'environnement, et ses experts
habituels ont été amenés à accepter l'idée qu'un nouveau quartier, construit sur des friches naturelles et des terres agricoles, pouvait être bénéfique globalement pour l'environnement.
...
Les projets d'écoquartier proposent une mutation culturelle majeure pour les sciences de l'environnement et les professions qu'elles alimentent. En effet, les sciences de l'environnement sont
fondées sur une vision finie et biocyclique du monde. Elles étudient les écosystèmes dans leur complexité pour en comprendre les équilibres et les dysfonctionnement. Les professionnels issus de ces
disciplines ont principalement travaillé sur les espaces non urbanisés ou sur les franges des espaces d'urbanisation.... Au cours du dernier siècle, leurs métiers se sont forgés autour du maintien
de ces espaces pour préserver l'environnement direct de l'homme et l'intégrité même du domaine naturel. ... Dans cette vision centrée sur les écosystèmes, la ville est un objet extérieur souvent à
l'origine de troubles de fonctionnement voire de problèmes. Pour les professionnels issus de ces disciplines, la ville est d'abord productrice de nuisances, de pollutions et de surconsommation des
ressources.
En introduisant l'idée d"une compatibilité à trouver entre environnement et développement urbain, les quartiers durables font se rencontrer ces professionnels et les acteurs classiques de
l'urbanisme. Ils les invitent à collaborer directement et non plus ponctuellement. Construire des quartiers durables consiste pour les professionnels de l'urbanisme à affirmer à leurs collègues
environnementalistes que la production de la ville (sur elle-même et par son extension) est constitutive des équilibres entre l'environnement et le développement social et économique. Autrement dit
il s'agit de rompre avec des conceptions "productivistes", voire "anti-urbaines", des politiques environnementales dont les racines historiques et disciplinaires sont profondément ancrées dans la
culture de ceux qui définissent et conduisent ces politiques.
In "Ecoquartiers, secrets de fabrication, analyse critique d'exemples européens", de Taoufik Souami, édition "Les carnets de l'info", 2009, Paris.
(16€)