"Une croisade contre la concurrence déloyale". sous ce titre le journal Sud-Ouest vise les entreprises espagnoles qui prennent de nombreux chantiers aux entreprises locales. Le problème est réel car de nombreux emplois sont aujourd'hui menacés. Mais si le combat est juste, l'argumentation développée est pour le moins approximative, voire malhonnête. Le journaliste, Richard Picotin, aurait gagné à vérifier les informations que la fédération du bâtiment lui a communiquées.
Il fait tout d'abord état du jugement condamnant la Chambre des métiers de Bayonne pour avoir attribué illégalement à une entreprise espagnole un lot de son chantier de l'Université des métiers. La Chambre devra dédommager une entreprise française jugée victime de concurrence déloyale. Et il ajoute:
"Autre élément de satisfaction: un nouveau soutien juridique apporté à une entreprise française recalée pour la construction de la salle culturelle d'Anglet, entreprise qui a son tour a saisi le juge".
La phrase est sibylline. Si je la comprends bien ce jugement concernant la Chambre des métiers viendrait conforter la position d'une entreprise qui attaque la ville d'Anglet devant la même juridiction. Je ne vais pas détailler cette dernière affaire; je renvoie à un précédent article (1) ou j'expliquais les raisons ayant conduit la ville d'Anglet à attribuer un lot du marché de la construction de la salle culturelle à une entreprise de San Sebastien, Altuna y Uria . En un mot, cette dernière s'est vu désignée pour la réalisation du gros-oeuvre dans le cadre d'un marché européen. La ville, tenue par les règles des marchés publics n'avait pas le choix!
La comparaison est étonnante car le journaliste laisse entendre que la situation est la même. Or le tribunal a déjà tranché en faveur de la ville, en déboutant l'entreprise Eiffage qui contestait l'attribution du marché de gros-oeuvre de la salle culturelle à Altuna y Uria, pour "offre anormalement basse". Le prix de Altuna y Uria était très proche - et même légèrement supérieur- à l'évaluation préalable qu'avait faite la maitrise d'oeuvre, chiffre que nous avions fait vérifier nous-mêmes par un bureau d'étude indépendant. Manifestement l'offre n'était pas anormalement basse! Par contre Eiffage était 37% plus cher! En résumé le même tribunal qui a condamné la Chambre des métiers nous a donné raison il y a un an. Il aurait été honnête de le dire!
Monsieur Picotin écrit ensuite:
" En n'appliquant pas les même règles sociales et fiscales, elles [les entreprises espagnoles] emportent des marchés publics en cassant parfois de 30% le montant des devis. Quitte ensuite, comme c'est le cas pour la salle culturelle d'Anglet, à réclamer - et obtenir - une rallonge en cours d'execution des travaux, faisant ainsi grimper le montant final de la facture quasiment au prix du devis initial de l'entreprise française recalée".
Les entreprises espagnoles emportent c'est vrai des "marchés publics", mais aussi et surtout beaucoup de marchés privés. Pourquoi focaliser sur les seuls marchés publics? et pourquoi tout particulièrement sur la ville d'Anglet? Les promoteurs privés ne seraient pas concernés? Ni les entreprises françaises qui sous-traitent sans vergogne à des étrangers? Eiffage, au moment même ou elle attaquait la ville, faisait livrer son béton par des camions toupies d'Irun sur un chantier de résidences à 200 m de la mairie! Depuis cinq ans la municipalité a investi comme jamais auparavant. Au total on approchera des100 millions d'euros pendant ce mandat. Sur ces 100 millions, 2 millions seulement reviennent à une entreprise basque espagnole, de Saint Sébastien: 2 % ! Jamais la ville n'avait offert autant de travail aux entreprises locales! Alors, pourquoi un tel tissu de mensonges? Parce que nous sommes rigoureux et respectons la loi, ici le code des marchés publics qui nous oblige à organiser un appel d'offre européen?
Nous aurions accordé une rallonge à Altuna y Uria " en faisant grimper la facture quasiment au prix du devis initial de l'entreprise française". Nous sommes ici dans la diffamation! On nous accuse de connivence et d'avoir détourné les règles des marchés publics! L'écart entre l'offre basque espagnole et l'offre d'Eiffage était supérieure à 1 million d'euro. Nous avons accordé un avenant pour travaux supplémentaires de 26000 euros à l'entreprise basque espagnole. 26000 euros! nous sommes loin du million ! Comment cette affirmation mensongère a-t-elle pu être publiée sans être vérifiée? Et sur ces 26 000 € une bonne part concerne le sous-traitant français Francki-fondation, pour les fondations sur pieux. Nous avons accordé des avenants proportionnellement plus élevés dans les autres corps d'état, pour travaux supplémentaires, en électricité par exemple. A des entreprises françaises donc. C'est malheureusement habituel dans des chantiers aussi complexes ou il est difficile de tout prévoir à l'avance. Mais nous restons dans le cadre des marchés publics qui limitent le montant des avenants. Augmenter de 35 % le marché d'une entreprise par avenant est illégal!
Et l'article continue:
"La fédération du BTP 64 mène donc une croisade pour faire condamner les maitres d'ouvrage qui, à ses yeux et désormais aussi aux yeux de la justice, attribuent des marchés publics de manière illégale, au motif qu'ils ne respectent pas les précautions nécessiares avant de faire leur choix."
Comme le maitre d'ouvrage ayant jusqu'ici servi pour la démonstration dans cet article en forme de réquisitoire est la ville d'Anglet, on conclut tout naturellement qu'il s'agit de faire condamner celle-ci pour avoir attribué un marché de manière illégale, car cela est clair "à ses yeux [de la fédération du bâtiment] et désormais aussi à ceux de la justice"! Nous serions donc condamné par la justice, alors que c'est l'inverse: Eiffage qui nous avait attaqué devant les tribunaux a été débouté! Car nous avions pris " toutes lesprécautions nécessaires avant de faire notre choix".
Le président de la CCI, André Garetta, filant la métaphore rugbystique explique
"je n'ai jamais vu deux équipes disputer un match avec chacune des règles différentes. C'est pourtant ce que l'Europe propose".
Je souscris totalement à ce propos. Je l'expliquais dans mon article il y a un an: Ce qui est en cause c'est la règle du jeu européenne qui ne place pas toutes les entreprises dans les mêmes conditions. M. Garetta nous explique qu'il va "organiser une série de rencontre à travers le Pays basque" et à Anglet pour sensibiliser les collectivités aux problèmes posés par l'attibution des marchés publics. Nous participerons volontiers à cette rencontre. La CCI compte mettre en avant deux points de vigilance: Tout d'abord le maitre d'ouvrage se doit de vérifier les pratiques sociales et les documents obligatoires... La ville d'Anglet l'a fait, et a exercé en outre un contrôle vigilant tout au long du chantier sur les conditions de travail. La CCI souligne ensuite combien il convient de se méfier des devis anormalement bas. La ville d'Anglet a su le faire comme le tribunal l'a reconnu. Nous pourrons donc illustrer par l'exemple la démonstration du président Garetta... et constater avec lui les limites actuelles de la loi.
En focalisant sur la ville d'Anglet, la fédération du bâtiment mène un mauvais combat, pour une cause globalement juste. Il est dommage que Sud-ouest se soit prêté à cette opération politicienne sans vérifier ses informations.
(1) voir dans ce blog, rubrique "salle culturelle", l'article intitulé "la ville d'Anglet investit! les entreprises locales sont gagnantes" (du 29 mai 2012)