Un ami, ingénieur retraité, m'écrit:
« Je n’aurai pas la prétention de me faire le porte-parole des angloys mais je crois pouvoir m’autoriser à me faire leur interprète, pour la majorité d’entre eux, qui ne veulent ni immeubles hauts (R+6maxi), ni terrasses, ni architectures discordantes et inadaptées à l’existant, mais qui forment le vœu de voir respecté le style du pays et que soient privilégiées nos bonnes toitures traditionnelles. Nous sommes dans une situation où le référendum populaire s’impose. Bien cordialement,…
PS : Nous avons ici bon nombre d’archi-DPLG au talent reconnu. Pourquoi s’adresser ailleurs ???? »
Si je reproduis ici son courrier, c'est parce qu'il est significatif de ce que pensent certains angloys, qui s'inquiètent de la qualité paysagère de notre ville. Aussi vais-je prendre le temps d'y répondre. Pour les assurer tout d'abord que je partage leur préoccupation; comme eux, je veux une ville plus belle, qui conserve surtout ses atouts de ville-jardin, et qui ne soit pas dénaturée par les nombreuses constructions nouvelles.
Des architectes locaux...
Je répondrai tout d'abord au dernier point évoqué par mon interlocuteur: « Faites appel, dit-t-il en substance, aux architectes locaux qui ont du talent, il n'est pas nécessaire d'aller chercher ailleurs». Je partage son appréciation et c'est bien ce que la municipalité d'Anglet fait, dans le respect des marchés publics qui organisent la concurrence entre les équipes.
Citons quelques noms : Rabier et Gaertner pour le COL au rond-point de Bahinos, Thierry Douarche à Hondaro, Leibar et Seignerin aux Jardins d'Eugénie rue de Jouanicot, Sylvie Cillaire
pour les logements sociaux de la rue du Colombier, François Darasse (AIR Architecte) à la Bécasse, Christophe Arotcharen sur l'avenue de Bayonne (ancien ilot FIAT), Andrieu et Lacoste d’ALC pour
la patinoire, Piquet et Grossin pour le pôle social de la Butte aux Cailles, Jacques Leccia à Montaury pour la résidence universitaire (photo ci-contre), sont des architectes locaux. Peut-on
considérer que Thibaut Babled, choisi pour l’écoquartier du Maharin, issu d'une vieille famille bayonnaise, qui a fait toutes ses études primaires et secondaires à Bayonne mais installé à Paris
est étranger à la culture régionale? Il ouvre d'ailleurs une agence de son cabinet BNR à Saint-Esprit à l'occasion de son intervention sur Anglet, et vient de se voir confié une autre mission par
l'agglomération. Même remarque pour Christian Larroque, l'architecte choisi par le COL pour les logements de l'avenue de Bayonne: Son cabinet est implanté à Bordeaux mais il a fait ses études à
Cantau. Certes, la rénovation des places de la Bécasse et des Cinq-Cantons ont été confiées - sur concours - respectivement à des Toulousains et Montpelliérains spécialistes de ce type
d'aménagement. De la même manière, les falaises de la Chambre d'Amour seront réaménagées par une équipe bordelaise. Mais les architectes locaux
n'étaient pas très nombreux à candidater pour ces travaux qui relèvent de l'aménagement urbain. Enfin, pour la salle culturelle, les caractéristiques particulières de cet équipement expliquent
que les équipes expérimentées qui avaient concourues, venaient de toute la France. Hérault et Arnod, choisis à la quasi-unanimité par la commission qui regroupait élus et techniciens, sont de
Grenoble. Et Rudy Riciotti qui avait dessiné la salle de spectacle Bovero pour l’ancienne municipalité est de Bandol ! (1).
… pour une architecture locale ?
Mais ces architectes « locaux », construisent-ils dans le style « régional » recommandé par mon ami ? Pas vraiment : Ils sont « d’ici » certes, mais aussi « de maintenant » et comme leurs prédécesseurs ils réinterprètent le passé avec les tendances architecturales de leur temps. Sacrilège ? Les architectes des années 20 ont laissé à Biarritz et Anglet de magnifiques bâtiments art déco qui n’avaient rien de local, et les belles demeures de la cote basque nous font voyager partout dans le monde et dans le temps. Villas néo-gothiques, classiques, art-nouveau, art-déco, anglo-normandes, où arabo-andalouses cohabitent avec les villas néo-basque, un style réinventé par les architectes du début du XXème siècle à partir du vocabulaire vernaculaire. Leurs héritiers utilisent la toiture-terrasse, la toiture à deux pentes chère à mon ami, où des formes plus originales, comme Rabier et Gaertner qui n’hésitent pas à couvrir d’un demi-cylindre leurs bâtiments à Bahinos. Ils sont créatifs, respectueux du passé qu’ils connaissent bien, mais ancrés dans leur époque. Qui pourraient le leur reprocher ! L’histoire de l’art nous apprend que dans les combats des anciens contre les modernes, de la bataille d’Hernani au « salon des refusés », de la pyramide du Louvre au musée Guggenheim, la postérité a toujours arbitré en faveur des derniers. Qui se souvient aujourd’hui des noms de ceux qui s’opposèrent à Victor Hugo, Théophile Gautier et Dumas un soir de 1830 à la comédie Française ? Et qui aujourd’hui préfère Gérôme à Manet ? Restons dans l’architecture : La « cité radieuse » de Le Corbusier, l’œuvre architecturale du XXème siècle la plus remarquable de Marseille, fut ironiquement baptisée lors de sa construction, la « maison du Fada » par l’opinion publique. Elle est aujourd'hui un élément indiscuté du patrimoine de la cité phocéenne.
Entendons-nous bien, l’innovation en soi n’est pas une vertu. On peut faire de la bonne architecture en utilisant et en réinterprétant un langage ancien. Viollet-Le-Duc et ses disciples l’ont fait avec l’art gothique – la cathédrale de Bayonne serait moins belle sans ses tours ajoutées au XIXème siècle – Ricardo Bofill aussi avec l’architecture classique, il y a moins de trente ans, à Montpellier par exemple. Et avec le style néo-basque on peut faire de la belle architecture. Mais considérer que seule cette architecture a droit de cité ne me parait pas défendable.
La hauteur est-elle un dogme ?
Un autre point que relève mon correspondant dans le courrier reproduit en introduction à cet article est celui de la hauteur. « Pas plus de 6 étages » écrit-il.
Pourquoi 6 étages ? Et pourquoi fixer la même hauteur partout.
Nous affirmons que la hauteur est une variable qu’il convient d’ajuster à son environnement. Nous proposons des bâtiments de 6 à 9 étages dans notre projet de « cœur de ville » pour l’ancienne RN 10, mais nous avons choisi de n’en construire que 2, là où le PLU nous permettait d’en mettre 3, sur les terrains « Hirigoyen », rue de Jouanicot. Pourquoi ?
Parce que la bonne hauteur est celle qui est adaptée à son environnement !
Sur l’ex RN10, les immeubles existants qui entourent le projet font de 6 à 8 étages. Nous choisissons de rester dans le même gabarit, ce qui nous permet de densifier ce quartier de cœur de ville, tout en aménageant une coulée verte. Car en construisant en hauteur nous pouvons, à densité comparable, préserver des surfaces pour des plantations en pleine terre (voir sur ce blog, la comparaison entre le projet Bovéro que nous proposons et le quartier « Erdian », imaginé par la municipalité précédente et dont la construction se poursuit le long du boulevard du BAB). Sur les terrains Hirigoyen, entre les rue de Pinane et de Jouanicot, à l’inverse, nous ne construirons que 60 logements avec deux étages, là où nous aurions pu en construire 90 sur trois étages. La voirie « rurale » existante, l’environnement pavillonnaire, nous ont dicté ce choix de bon sens.
Pour préserver la ville-jardin que nous aimons, il faut économiser l’espace et utiliser les emprises au sol les plus réduites possibles. D’où cet intérêt de construire en hauteur, quand – et seulement quand - cela est compatible avec le bâti existant.
Si nous faisons tomber le dogme des hauteurs, ce n’est pas pour construire plus mais pour construire mieux. Pour préserver davantage la ville-jardin, pour réduire la place de la voiture dans la ville en densifiant le long des lignes de bus les plus importantes, pour mieux préserver le patrimoine angloy, menacé par la folie spéculative. Si nous avions eu pour ambition de construire plus, de « bétonner » Anglet, nous aurions utilisé les possibilités que nous donne le PLU voté en 2004 par nos prédécesseurs : 90 logements à Jouanicot et non 60 ! Près de 600 logements sur le Maharin et non 280, comme nous l’avons décidé…
Mon désaccord avec mon ami est donc réel. Je lui reconnais bien sûr le droit de préférer les « vrais » toits aux toitures terrasses, les immeubles bas aux immeubles hauts, le néo-basque à l’art déco. Ce que j’ai essayé de lui expliquer ici c’est que, par-delà les éléments de vocabulaire architectural, ce qui est important c’est de faire de la bonne architecture. Attentive au paysage qui l’entoure, bien sûr, soucieuse de développement durable, évidemment, mais aussi créative. Car l’architecture est un art vivant. Et je le remercie de m’avoir donné l’occasion de préciser ici quelques points qui me paraissent importants.
Quelle ville pour demain ?
L’architecture ne peut se penser qu’en même temps que la ville. Quelle ville voulons-nous construire ? Chacun s’accorde aujourd’hui pour dire que la ville de demain devra respecter un certain nombre de règles imposées par le « développement durable ». Quelles sont ces règles : Il faut éviter l’étalement urbain pour économiser le foncier et pour réduire la place de la voiture. Cela impose qu’on recherche une certaine densité de population en cœur de ville. Il faut réconcilier la ville et la nature, et pour Anglet c’est un enjeu majeur, en évitant une minéralisation excessive des sols, ce qui conduit à éviter les nappes de parkings en surface et à construire plus haut quand cela est possible. Parce qu’on a largement ignoré ces principes on a vu la qualité urbaine d’Anglet se dégrader depuis 20ans. Ceux qui prétendent qu’il faut continuer comme avant, ne rien changer à notre pratique, construire partout des immeubles bas occupant une grande surface au sol, condamnent de fait la ville-jardin qu’ils prétendent défendre. Ce ne sont pas des "conservateurs" car la ville ne va pas être conservée, mais des défaitistes car ils renoncent à orienter la construction de la ville et choisissent d'assister impuissant à sa dégradation progressive.
Tout ceci est difficile à expliquer à nos concitoyens ? Oui, c’est difficile. La réaction de mon ami l'atteste. Je m’y emploie modestement dans mon action quotidienne d'élu ... et sur ce blog.
(1) Riciotti a repris son idée de « boite à musique » en béton, qu’il avait imaginé pour Anglet, pour la salle des musiques actuelle de …Metz ! (voir le site de cette ville). Une salle de 800 places assises, comme notre projet de Quintaou.